UNE QUESTION DE TEMPS …

Manque de temps : une cause de la souffrance au travail ?

Cette question du manque de temps est notre point de départ. Elle a été au cœur des échanges lors des premières rencontres « Parenthèse Projet » (lien vers l’article). Il apparaît rapidement que le besoin de « prendre du temps pour soi, pour se ressourcer », est un besoin légitime, voire essentiel pour la pratique de métiers sollicitant fortement le corps et l’esprit  . Comme un pilote de ligne qui se repose après un vol long courrier, il parait évident qu’un professionnel du soin, qui doit parfois soulever des patients pour leur toilette et faire preuve d’empathie, de compassion, ai besoin de se ressourcer corporellement et psychiquement. Pourtant, au vu de l’organisation actuelle, cela est difficile à faire et parfois encore difficilement admis.

Ces difficultés pour se libérer du temps, ce sentiment d’être privé de son temps, seraient-ils les causes de la souffrance au travail de certains soignants ? Face à cette question, les autres causes multiples de la souffrance dans les métiers du soin émergent. Comme nous l’avons évoqué précédemment, ce sont les problèmes structurels et organisationnels du système de santé mais aussi des problèmes sociétaux auxquels font face ces professionnels, et bien d’autres facteurs.

L’ensemble de ces facteurs couplés à la problématique individuelle, génère de la souffrance. Face à une telle complexité, il nous parait alors intéressant de s’interroger collectivement sur ces causes autour des réflexions de philosophe, psychologue, sociologue, manager, médecin du travail… Identifier plus finement les causes, aborder cette problématique sous différents points de vue, permettrait peut-être de faire émerger des solutions nouvelles.

Manque de temps : un symptôme de la souffrance au travail ?

Nous abordons ensuite ce problème à l’échelle individuelle. Qu’est ce qui fait que ces professionnels manquent de temps ? Au-delà des problèmes évoqués précédemment, qu’est-ce qui, à l’échelle individuelle, fait qu’ils n’arrivent pas à s’octroyer ce temps ? Les métiers du soin ne sont pas choisis au hasard. Ces professionnels ont l’envie de prendre soin, de soulager et de répondre aux besoins des autres. Pour prendre soin, ils font preuve d’empathie, de compassion. Particulièrement préoccupés par les besoins des autres, ils ont du mal à s’écouter, se connecter à soi et à entendre leurs besoins, notamment celui de se ressourcer, de prendre du temps pour soi. Les soignants seraient-ils plus exposés aux schémas d’abnégation ? C’est l’hypothèse formulée par l’une des participantes au vu de son expérience de terrain. Une revue de la littérature montre que le schéma d’abnégation est l’un des schémas précoces inadaptés  retrouvé spécifiquement  chez les soignants. Mais les études sur ce sujet sont peu nombreuses et à faible niveau de preuve (1,2).  Toujours d’après son expérience, elle constate que sans espace pour souffler, ces professionnels risquent de développer une fatigue compassionnelle (3). A l’extrême, ils peuvent exposer leur santé, tant physique que psychique.

Il est donc important que les professionnels du soin et de la santé prennent conscience et s’autorisent à prendre soin d’eux-mêmes et à s’écouter. Et ce avant d’arriver au point de rupture comme le burn-out, qui impose alors cette mise au repos. De nombreuses méthodes existent pour prendre soin de soi en tant que soignant : des formations, ateliers de prévention sont organisés notamment par l’association SPS (lien vers les e-Jades). Au niveau local, le CHS de Bassens propose à ses agents des rendez-vous de suivi avec des psychologues libéraux, des méthodes d’accompagnement variées et des formations sur le thème prendre soin de soi. Les techniques de méditation de la compassion sont particulièrement utiles pour les soignants. Un colloque abordant la compassion dans le domaine du soin a par exemple été organisé à Lyon en 2017, au regard des dernières recherches en neurosciences contemplatives : https://www.youtube.com/channel/UC-m0Xy3i6vk2lqs8o0q62VA(4)

Pour bénéficier de toutes ces ressources, il faut se libérer du temps pour y assister ; avoir pris conscience de cette nécessité. Il est évident que cela est beaucoup plus facile lorsque la structure qui emploie ces professionnels leur permet de s’octroyer ce temps. Mais comment aller chercher les professionnels qui n’en ressentent pas le besoin ou ne parviennent plus à en ressentir le besoin ?

L’une des participantes nous fait part de son expérience. Elle a bénéficié, à sa demande, d’un accompagnement par le Centre Nationale de Gestion pour faire un point sur sa carrière, ses aspirations, sorte de bilan de compétence. Sur le plan personnel, cela lui a permis de se recentrer sur ses besoins, ses aspirations et d’orienter son exercice professionnel en conséquence. Sur le plan humain, cet échange réciproque avec l’accompagnant lui a beaucoup apporté : se sentir écouté, avoir l’impression que son expérience intéresse et apporte  quelque chose à l’accompagnant. Au rythme de 2 heures par mois en visio pendant 6 mois, elle a trouvé le temps, malgré son travail à l’hôpital, de suivre cet accompagnement. Cela lui a permis de passer un cap. Ce témoignage montre l’intérêt de faire une pause à un moment et pourrait être un levier de prise de conscience. Sous forme de courtes vidéos du type « un soignant qui prend soin de soi, quand, comment, pourquoi, et maintenant ? », quoi de mieux que l’expérience bénéfique de ses pairs pour se questionner et trouver une source de motivation pour engager un changement.

Article rédigé par : Céline Vasseur, pédiatre, présidente de l’association Parenthèse Savoie. 06/03/2023

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